IL FAIT TOUJOURS BEAU QUELQUE PART
Tout commence par un choc une percussion. Il arrive que l’émotion soit au rendez vous, que la magie opère sans que l’on sache pourquoi. La lecture d’une œuvre dans son ensemble rend compte d’un projet ; dans une exposition c’est la démarche, qui devient expression, écriture, matière c’est elle qui nous ouvre un monde. La polysémie des formes est lumineuse. C’est ce qui se lit dans l’écriture picturale riche et complexe de Caroline de Boissieu :il y a du sens, entre l’air et l’eau,l’opacité et la transparence, toutes les tensions sont présentent.
Le Monde moderne n’arrête pas de construire des catégories, des boîtes, des cases, des prisons, dans lesquelles il faudrait accepter d’être enfermé. Les artistes n’échappent pas à la règle et, très souvent, s’y soumettent, ce qui d’une certaine manière limite leur prétendue liberté d’expression. La seule vraie liberté ne serait-elle pas celle de pouvoir dire j’aime, je suis touché, j’accepte cette émotion presque animale, primitive dont nous avons appris à nous défier. Pas d’émotion, pas d’art, car me semble t’il, tout commence par là.Devant les tableaux de Caroline de Boissieu c’est l’amplitude du geste qui nous entraîne, nous enveloppe dans ses plis, ses couches, ses rouleaux. Elle ne laisse pas le temps de la réflexion, de l’analyse, d’emblée on est emporté dans un ailleurs, un mouvement, une légèreté qui ne révélera sa profondeur que bien plus tard. Car c’est la force de ses constructions, sa capacité à être à la surface des choses tout en nous entraînant dans des abysses qui nous trouble et provoque l’envie d’en savoir plus, de sortir de l’apparence, de cette première impression pour accepter de la suivre.
C’est que la complexité de la démarche, celle que l’on retrouve dans chacune des œuvres de Caroline de Boissieu, relève du palimpseste. Cette stratification, ou peut être mieux, sédimentation dont on parle comme d’un simple grattage de parchemin est ici une longue élaboration qui cache une volonté de troubler les pistes, les enfermements : entre la photographie, l’acrylique, le crayon, le pastel, toutes les techniques sont convoquées pour donner au projet la plénitude de son expression, son souffle. Car c’est de ce souffle si cher aux artistes d’extrême orient dont il est question. Tous les chemins concourent à ce dessein, ils cachent, ils enferment leurs secrets.
C’est que la force de chaque œuvre est dans les découvertes que nous réserve l’exploration. En cela, elle rejoint la grande peinture de paysage, celle dans laquelle le regard circule. Si l’émotion est dans l’immédiateté, la démarche révèle des tensions qui sous des aspects anodins amenuisent la violence de notre monde. Ici, l’apparente légèreté cède le pas à la noirceur, à la part irréductible de sauvagerie qui habite les hommes.
Si Francis Bacon disait « entre Matisse et Picasso, j’ai choisi Picasso car il était le mieux à même de prendre compte la violence du monde », dans l’œuvre de Caroline de Boissieu, c’est cette capacité à voir le déchirement jusqu’à le rendre insupportable sans renoncement qui nous touche. Il y a de la légèreté, pas de cynisme. Un regard sur le monde chargé de sens et c’est lui qui apparaît et constitue sa vision il construit son œuvre, lui donne son sens.
Alors, on peut dire j’aime, car c‘est beau et c’est insupportable, cette peinture a la force d’une poésie radicale qui se dévoile lentement elle est transparente et opaque, mobile et immobile, gaie et douloureuse, cette tension est là puissante : entre l’ombre et la lumière ; entre le ciel et l’océan . Jusqu’au dernier support, ce plexiglas brillant qui n’attend qu’une chose, l’opacité du temps qui sera la dernière altération de cette œuvre ouverte, prise entre l’espoir, et le désespoir, non . . . . . . . . . . l’espoir, elle résiste.
Alain SARFATI, architecte, février 2008